Le marché des voitures électriques est en pleine croissance, mais le consommateur se pose beaucoup de questions sur leur avantage écologique face aux voitures thermiques. Questionnement accru d’une part par blocages des constructeurs contre l’interdiction des voitures à essence en Europe pour 2035 et d’autre part par les enjeux géopolitiques liés à l’extraction des matières premières critiques contenues dans les batteries électriques. Décryptage.
Demande mondiale accrue
La transition énergétique vers les technologies propres triplera les besoins en lithium d’ici à 2030. Au cours des deux prochaines décennies, la demande de terres rares devrait augmenter de plus de 40 % et atteindre une augmentation jusqu’à près de 90% pour le lithium.
Les futurs conducteurs de voitures électriques sont sensibles aux enjeux éthiques quant à l’extraction des matières premières contenues dans les batteries. En effet, celles-ci utilisent des métaux à forte criticité comme le cobalt et le lithium, c’est-à-dire dont l’approvisionnement est sensible. Voyons à présent les différents stades du cycle vie de la voiture électrique face à la voiture thermique pour analyser son bilan carbone, avec l’accent mis sur le point 2 qui risque de desservir les voitures électriques si le consommateur ne se transforme pas en consomm’acteur.
1. Fabrication des batteries
L’extraction et le raffinage des matériaux utilisés dans les batteries ont un impact environnemental négatif, comme la déforestation. Les éléments médiatisés négativement sont l’extraction du lithium (impact sur les ressources en eau dans les Andes) et du cobalt (conditions de travail dans les mines de cobalt en République Démocratique du Congo). Néanmoins, ces deux métaux ne représentent que 4% du poids moyen d’une batterie, alors que d’autres métaux sont utilisés en bien plus grandes quantités.
Mais ces controverses éthiques doivent être mises en regard de celles qui portent sur l’industrie pétrolière. La liste des problèmes liés au pétrole pour faire rouler les voitures thermiques est loin d’être exhaustive: au niveau écologique, l’histoire est médiatisée par les marées noires. De plus avec l’administration Trump, les forages vont se faire dans les zones les plus polluantes. Le discours isolationiste du Républicain (quoique expansioniste notamment sur le Groenland) veut émanciper les USA de la dépendance au pétrole du Moyen-Orient. Cela pose l’épineux problème du fracking, qui grâce à lui certes a hissé les USA comme premier producteur mondial mais qui ne le rend pas indépendant, puisque les Etats-Unis consomment plus de pétrole qu’ils n’en produisent. Mais surtout maintient les USA dans un rôle de terrible pollueur avec une méthode d’extraction qui pollue les eaux et les sols.
La problématique écologique s’entremêle à celle des guerres pour le pétrole: Irak, Koweit menaces constantes au-dessus de l’Iran. On ne reviendra pas ici sur les guerres pour le pétrole qui ont constamment jalonné le 20e siècle et le cours du brut (p.ex. choc pétrolier de 1973).
2. L’orgueil d’une société du paraître risque de disqualifier les véhicules électriques
Concernant les phases « émissions lors de la fabrication » et « fin de vie de la voiture », voici ce qu’on peut dire sur ces stades. Nous pouvons affirmer que la production d’une voiture électrique peut être plus énergivore que celle d’une voiture thermique, si on prend en compte la masse, et notamment une plus grosse batterie dans le cas d’un SUV. Et donc plus d’émissions liées à la fabrication du véhicule (qui représente le principal de son empreinte carbone, contrairement au véhicule thermique). Néanmoins, les émissions pendant la durée de vie de la voiture sont plus faibles.
Attardons nous par conséquent sur les véhicules électriques énergivores: les fameux SUV. Les constructeurs automobiles doivent avant tout répondre à la demande des consommateurs. Sauf dans des cas assez rares dans le marketing des produits en général lorsque l’offre précède la demande: ce fut le cas avec la création de l’iPad. Donc si les consommateurs se montrent une fibre écologiste, les fabricants vont suivre la tendance. Mais comment concilier son éthique lorsqu’on veut à la fois se croire écolo mais montrer qu’on a bien réussi? En achetant un gros SUV électrique. Or c’est là la contradiction, du moins en termes de bilan carbone.
En effet, avant l’essor des véhicules électriques, les fabricants automobiles déversaient des SUV thermiques qui comblent l’orgueil de certains individues issus des classes moyennes supérieures et aisées. Certaines de ces personnes veulent montrer leur 4×4 flambant neuf juste pour acheter leur baguette de pain à la boulangerie en face de chez eux y compris lorsqu’ils habitent en plein centre-ville.
En marketing on postule qu’on achète un produit, en l’occurrence ici une voiture, pour satisfaire les éléments suivants définis par la méthode SONCAS (sécurité, orgueil, nouveauté, confort, argent, sympathie). Les SUV remplissent certaines des motivations d’achat décrites dans cet acronyme en l’occurrence: se sentir en sécurité, l’orgueil de posséder une voiture imposante, le confort d’un SUV haut-de-gamme avec beaucoup d’options, et montrer qu’on a l’argent de se payer un tel véhicule.
Les fabricants n’étant pas des philanthropes, ils ont bien compris que les préoccupations écologiques devaient s’allier à ce SONCAS. Alors, ils sont juste fourni le même modèle, avec un petit lifting de la carrosserie mais hybride ou électrique. Or c’est là le problème émotionnel du consommateur: ce dernier n’agit pas en consomm’acteur. En effet, le consomm’acteur introduira ou substiera dans le SONCAS la composante Sobriété. Il ne va pas acheter de SUV puisque sans même avoir étudié l’ingénierie, il se doute bien que sa voiture « pollue » en amont: ainsi l’empreinte carbone d’une Audi e-tron est 2 fois supérieure à celle d’une Volkwagen e-Up sur sa durée de vie (150 000 km). Il faut alléger ce type de voiture pour les rendre moins énergivore. Malheureusement la tendance actuelle est à des voitures grosses lourdes et qui consomment beaucoup.
3. Production d’électricité
L’impact environnemental est négatif si l’électricité provient principalement de sources fossiles (charbon, gaz naturel). Heureusement, en Suisse le bilan climatique est favorable aux voitures électriques car l’électricité vient des centrales hydroélectriques et nucléaires, qui sont très respectueuses du climat. Cette électricité issue de sources renouvelables commence à devenir la norme en Europe. Néanmoins la reconversion des employés et de l’infrastructure des centrales à charbon et à gaz, qui produisent encore la moitié de l’électricité en Allemagne est un enjeu sociétal et environnemental problématique. De surcroît en Pologne. La bonne nouvelle est que, même si le mix énergétique est dominé par le charbon, si on considère le calcul sur l’entièreté du cycle de vie de la voiture cela implique que même en Allemagne et en Pologne les émissions des voitures électriques sont inférieures à celles des voitures thermiques.
4. Recyclage des batteries
Contrairement aux idées reçues, le recyclage des batteries usées n’est plus un défi environnemental du moins en théorie car en pratique cela est une autre paire de manche. Bien que certaines des matières premières telles que le cobalt, le lithium, l’aluminium et le cuivre qu’elles contiennent peuvent être récupérées, en pratique les véhicules électriques émergeant tout juste sur le marché, la filière industrielle de recyclage n’est pas encore mature. Celle-ci devrait se développer à mesure que ces véhicules électriques sortiront du parc en circulation et que la tension sur les matières premières s’accentuera. Cela s’inscrit dans un contexte géopolitique extrêmement tendu, puisque Trump lorgne sur les terres rares et métaux à forte criticité ukrainiennes et groenlandaises. C’est un sujet en plein développement qu’il faudra suivre de très près, puisqu’à cause de l’imprévisibilité du Républicain couplé à l’unité des BRICS (et la proximité commerciale de ceux-ci de la République Démocratique du Congo) la bataille du lithium et des terres rares ne fait que commencer.